15 janvier 2017

KLEZMER HISTORY & REVIVAL - Revue de presse

Musique klezmer, musique tsigane : une altérité identique 

Septembre 12, 2016   

Source  https://lesterresduklezmer.com/2016/09/12/musique-klezmer-musique-tsigane-une-alterite-identique/ 

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L'enseignement de la musique klezmer

Mercredi 18 février 2015 - Source France Musique

La musique klezmer semble faire de plus en plus d'adeptes chez les amateurs. Comment enseigne-t-on cette musique aujourd'hui ? Comment la transmet-on et dans quelles circonstances joue-t-on du Klezmer? Reportage dans un orchestre Klezmer de l'association Musique Ensemble 20e à Paris dirigé par Aymeric Pin.

Ils sont une vingtaine de musiciens à se réunir tous les jeudis soirs dans une salle de répétition du 20e arrondissement de Paris. Parmi les instruments : des clarinettes et des violons, impossible d'imaginer la musique klezmer sans la présence de ces deux instruments emblématiques. Mais aussi des saxophones, accordéons, flûtes traversières, tuba, contrebasse, etc. Tous sont adultes et pratiquent cette musique en amateur. Au premier rang, on trouve Inès, une flutiste qui a rejoint l'orchestre en septembre 2014.
La jeune femme a longtemps pratiqué la musique classique dans différents orchestres mais ce qui lui a plu ici, c'est le fait de devoir jouer "à l'écoute". Inès avait l'impression de "tourner un peu en rond" avec le classique. "Là je sens que j'apprend de nouvelles choses. On doit beaucoup plus s'écouter les uns les autres pour que ça fonctionne", affirme la flûtiste. C'est la souplesse de l'interprétation qui a vraiment convaincu la musicienne. Elle précise d'ailleurs que son choix s'est porté sur la musique klezmer un peu par hasard sans qu'elle n'ait de réelles connaissances dans la culture yiddish.
Le klezmer n'est donc plus uniquement joué dans un cercle communautaire, par des gens de confession juive soucieux de renouer avec les racines de cette musique provenant de la culture ashkénaze d'Europe centrale puis largement diffusée via les ghettos. Bien que certains des membres de l'orchestre du 20e soient juifs et fassent cette démarche de retour aux sources, la plupart des musiciens sont venus ici dans un but purement musical et festif.
Nathalie, clarinettiste au sein de l'ensemble depuis 6 ans se souvient avoir découvert cette musique grâce au film L'homme est une femme comme les autres de Jean-Jacques Zilbermann, et qui lui a donné l'envie de ressortir son instrument de son étui. De formation classique, elle a commencé le klezmer en prenant des cours avec Aymeric Pin, le chef de l'ensemble. Il a commencé par lui apprendre les techniques de jeu klezmer et ses fameux glissandi pour clarinette. Nathalie apprécie elle aussi la souplesse de jeu de cette musique yiddish. "On a même l'impression que c'est l'erreur qui fait partie de l'esprit du klezmer. C'est très décomplexant et follement amusant" précise la clarinettiste.
Celui qui dirige l'orchestre, c'est Aymeric Pin, un clarinettiste professionnel et professeur en conservatoire. Il est notamment fondateur du Tsiganesh Gang, groupe klezmer parisien. Il s'est pris de passion pour cette musique après avoir assisté à un stage à la Maison de la culture yiddish à Paris où il rencontre notamment David Krakauer et Merlin Shepherd. Dans la foulée, il décide de créer cet atelier collectif car il sent que l'intérêt pour le klezmer est de plus en plus important chez le grand public. Mais il ne veut pas se contenter de rester dans l'hommage à la tradition. Aymeric Pin veut que le klezmer continue à être ce qu'il est : une musique festive, populaire et vivante.
"Quand elle était jouée en Europe de l'est, cette musique a été influencée par de nombreux pays, puis après la grande migration des juifs vers les Etats-Unis, le klezmer s'est teinté de jazz... C'est cet enrichissement permanent que nous essayons de retrouver dans l'orchestre. Chacun arrive avec son bagage, ses goûts et on met tout ça en commun" explique Aymeric Pin. L'ensemble mélange à l'envi différents styles musicaux : musiques latines, tango, swing, etc.
Aymeric Pin se sert d'ailleurs du sound painting pour diriger les musiciens. Une technique qui consiste à se servir de gestes ayant tous leur signification propre guider et lancer des improvisations. Le sound painting se marie à merveille avec le klezmer puisqu'il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une musique de fête et qui doit s'adapter à son public et non l'inverse. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'Orchestre Klezmer préfère se produire lors du mariage d'une de ses membres, pour le vernissage d'une exposition, un anniversaire dans un bar plutôt qu'en configuration concert.
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« Le klezmer redonne du baume au cœur » 

Source : La Croix 18 février 2015

France Musique consacre sa journée du 18 février à la musique klezmer, avec en point d’orgue, à 18 heures, un concert du clarinettiste David Krakauer à la Maison de la radio, avec plusieurs invités.



Christophe ABRAMOWITZ / Radio France
Catherine Ringer chantait pour la première fois en yiddish, accompagné de David Krakauer à la clarinette, lors du concert du 4 février dernier, à Radio France.

François-Xavier Szymczak, producteur de l’émission Dans l’air du soir, qui a coordonné cette journée, revient sur l’histoire de la musique traditionnelle des juifs ashkénazes.

La Croix : Qu’est-ce qui a donné envie à France Musique de consacrer une journée au Klezmer ? 
François-Xavier Szymczak : Le klezmer est un genre musical qui a connu un sort très singulier. C’est à l’origine une musique profane qui accompagnait les mariages et bar-mitzva dans les shtetls, villages juifs d’Europe de l’Est. Les orchestres se composaient d’instruments facilement transportables  : clarinettes, violons, contrebasses…
Les « klezmorim » n’étaient pas toujours bien vus par la bonne société juive qui les considérait comme des saltimbanques. À l’inverse, ils pouvaient être sollicités par des catholiques hongrois ou polonais pour animer des fêtes et jouaient des airs polonais ou hongrois. Le klezmer ne s’est pas donc jamais figé dans ses traditions.
Plusieurs grands compositeurs ont été inspirés par le klezmer : Serge Prokofiev et son Ouverture sur des thèmes juifs ou George Gershwin et les premières mesures qu’entonne la clarinette dans Rhapsodie in Blue. Mais c’est Dmitri Chostakovitch qui fera le plus écho à la musique juive dans ses propres compositions, surtout dans les mélodies De la poésie populaire juive, qu’il gardera cachées jusqu’à la mort de Staline.
 
Comment le klezmer a-t-il survécu à la Seconde Guerre mondiale ?
 F.-X. S. : Après la Shoah, il a failli disparaître. Boudé en Israël dans les années 1950, le genre est considéré comme une musique du passé tout en continuant à être joué. Il connaît une vraie renaissance aux États-Unis, dans les années 1970-1980 grâce à des artistes comme Dave Tarras, Giora Feidman, ou le groupe des Klemzatics. Dans les années 1990, le klezmer a connu un succès considérable, se mâtinant de rock, d’électro et même de punk !
Mais sa forme la plus féconde est celle qui se mêle au jazz, avec une figure emblématique, David Krakauer. Ce clarinettiste new-yorkais a su tisser des liens avec le funk et le hip-hop.
Il accompagnera même Catherine Ringer qui chante ce mercredi soir pour la première fois en yiddish. Elle interprète S’brent (Au feu), poème yiddish écrit en 1938 à la suite d’un pogrom en Pologne.

Cette musique essentiellement joyeuse est-elle une façon de conjurer le mauvais sort ?
 F.-X. S. : La pensée juive dit qu’il ne faut pas se noyer dans la tristesse ni dans la joie. Lors des mariages, on casse un verre pour se souvenir de la destruction du Temple en 70 après Jésus-Christ. Lors des enterrements, il y a aussi des moments joyeux. Le klezmer est une musique qui redonne du baume au cœur.
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Jazz'n'klezmer fête sa «Bal-mitzva» 

Libération 19 novembre 2014  - Par François-Xavier Gomez

Le terme klezmer, qui désigne à l’origine les musiciens juifs itinérants d’Europe centrale, est redevenu à la mode à la fin du XXe siècle, grâce aux revivals new-yorkais (The Klezmatics, David Krakauer) et européens (les Polonais de Kroke). Paris hébergeait de son côté une scène klezmer discrète mais vivace, avec Talila, Denis Cuniot ou Ben Zimet.
Le festival Jazz & Klezmer est né en 2002, dans un esprit d’ouverture et d’échange. La manifestation réunit chaque année autour de 4 000 spectateurs et ne cherche pas à grandir démesurément. La directrice du festival, Laurence Haziza, a conçu une affiche autour de la diversité des musiques juives. Quitte à s’en écarter, comme pour la soirée d’ouverture, lundi, avec la voix soyeuse et le piano de la Franco-Arménienne Macha Gharibian. Mercredi, c’est un habitué du festival, le clarinettiste Yom, qui proposait un projet inédit : les Yiddish Cowboys, où sa clarinette plonge dans une esthétique western avec banjo et guitare blues.
Les créations sont un point fort de Jazz & Klezmer : on n’a pas oublié, en 2012, l’hommage rendu par Vincent Ségal (violoncelle) et Alain Jean-Marie (piano) aux héros juifs de la salsa new-yorkaise. La magie du concert avait aussi à voir avec le cadre choisi : la synagogue de la rue Copernic à Paris. Qui accueillera lundi le duo décapant accordéon-saxo de Vincent Peirani et Emile Parisien. Une musique profane dans un lieu de culte : c’est possible grâce au statut particulier de Copernic, synagogue dite libérale, où l’on célèbre des unions mixtes et des bar-mitzva d’enfants de mères non juives. Huit concerts sont programmés jusqu’au 6 décembre, mais aucun le vendredi, shabbat oblige. «Si l’on organise un festival autour des musiques juives, il serait injuste d’en priver ceux qui observent le repos du vendredi», explique Laurence Haziza.
Dans la tradition juive, 13 ans, c’est la fin de l’enfance, que symbolise la cérémonie de la bar-mitzva. Jazz & Klezmer va fêter son entrée dans l’âge adulte par une «Bal-miztva», le 3 décembre à la Bellevilloise. Le Canadien Socalled, pionnier du rapprochement entre klezmer et hip-hop, sera le maître de cérémonie d’une soirée où sont attendus Yom, le groupe Adama ou la révélation de l’année en Israël : A-Wa, trio de sœurs d’origine yéménite.
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David Krakauer ébouriffe le klezmer 

 Le Monde 15 mars 2014 - Par Patrick Labesse

Débridé et sauvage, David Krakauer stupéfie sur scène. Quand il fait surfer à une allure époustouflante sa clarinette sur la crête des aigus, c'est une exubérante bouffée de joie qui passe. Son très attrayant nouveau disque enregistré avec son groupe Ancestral Groove paraît presque sage, comparé avec ce dont il se montre capable face au public.
Né à New York, en 1956, David Krakauer fait partie des agitateurs remarquables s'amusant à ébouriffer le klezmer, la musique juive ashkénaze d'Europe de l'Est. Une musique qui connaît un renouveau aux Etats-Unis à partir des années 1970 en croisant le jazz, puis se décline en voies multiples, rock, funk, hip-hop, électro… David Krakauer a déjà plus de 30 ans quand il commence à la jouer.
Avant cela, il fréquentait l'avant-garde du jazz, interprétait Brahms ou Schönberg. Quelque chose lui manquait, raconte le musicien : « Lorsque j'ai commencé à jouer du klezmer, j'entendais la voix de ma grand-mère, son accent yiddish. »
En 1979, il découvre Dave Tarras (1897-1989), Ukrainien émigré à New York, l'un des fameux clarinettistes klezmer du XXe siècle. « Il ne jouait plus vraiment “bien” mais il avait un son incroyable. » Au milieu des années 1980, poursuit Krakauer « il y a eu cette période extraordinaire, où avec Gorbatchev et la perestroïka, on sentait que l'Europe de l'Est allait s'ouvrir. Philip Roth publiait Writers from the Other Europe, on lisait Kundera, Gombrowitz et aussi Bruno Schultz. A New York, il y avait des concerts de clarinettistes bulgares, macédoniens, albanais, grecs… Je suis soudain devenu curieux pour tous ces possibles de la clarinette. Mon instrument pouvait m'emporter bien au-delà du jazz et du classique ».
Essai concluant
En 1985, à Upper West Side, dans Manhattan, où il habite, David Krakauer entend jouer des musiciens klezmer devant le delicatessen juif Zabars. Ceux-ci lui proposent de les rejoindre. Essai concluant. Huit mois plus tard les Klezmatics, l'un des groupes pionniers du renouveau de la musique klezmer aux Etats-Unis dans les années 1980 le contactent. Il restera sept ans avec eux avant d'inventer sa propre histoire avec le klezmer. « Ma musique est une maison avec les portes grandes ouvertes. »

Ecouter Checkpoint 1 CD Label bleu/L'autre distribution.
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Le renouveau du Klezmer

"Actualité Juive"- 31 octobre 2013 - Par Sandrine Szwarc

Le style musical folklorique joué par les klezmorim, ces musiciens ambulants d’Europe de l’Est, est sans cesse réinventé. Une plongée s’impose dans une musique toujours vivante qui inspire des artistes actuels issus de tout horizon, démontrant qu’un particularisme juif peut toucher la culture universelle.
« Aujourd’hui, la vitalité de la musique yiddish réside dans le simple fait qu'elle a su sauvegarder son essence, tout en s'enrichissant des cultures environnantes »
La musique klezmer s'est développée à partir du XVe siècle en Europe centrale et orientale. À l'origine le mot klezmer de “kle” (instrument) et “zmer” (musique en hébreu) qualifie l’instrument de musique. Le sens a glissé pour qualifier les interprètes, les klezmorim. En raison de ses origines, la langue de prédilection de la chanson klezmer était le yiddish, mais les langues locales étaient également utilisées. Jouée en Europe centrale et orientale jusqu'à l'aube du XXe siècle par des musiciens juifs itinérants, la musique klezmer est par essence une musique de fête et de rencontres. Car les klezmorim, les musiciens, souvent accompagnés de ménestrels locaux (hongrois, russes, moldaves, ukrainiens, galiciens, etc.) ainsi que des musiciens tsiganes, diffusaient leur musique à chaque étape de leur voyage. Cette condition leur permit d'approfondir leur connaissance des cultures musicales environnantes, à commencer par celle de leur pays d'adoption.
La musique klezmer qui animait les danses des célébrations de la vie juive (mariages, bar-mitsva…) pouvait durer très longtemps. Ainsi le tempo n'était pas régulier, mais s'adaptait à la fatigue des danseurs, et bien sûr des musiciens. Le violon était l’élément phare de la composition. La clarinette l’a supplémenté au XIXe siècle alors que son aspect mélancolique imitait le son du Shofar et son aspect répétitif rappelait le chant du hazan. La flûte fut introduite à partir du XVIIe siècle. D’autres instruments pouvaient leur être associés comme la cymbale qui jouait un rôle d'accompagnement. La balalaïka russe a pu aussi être utilisée ainsi que l'accordéon, comme dans la musique tzigane, le tambour ou la grosse caisse.
Quand ils n'avaient pas une autre activité principale et ne jouaient qu'occasionnellement, les klezmorim étaient principalement des musiciens ambulants vivant grâce aux dons plus ou moins généreux qui leur étaient alloués. Les thèmes de prédilection des chansons qu’ils interprétaient de village en village, au rythme du calendrier juif, faisaient référence à la vie religieuse. Le Shabbat était souvent évoqué ainsi que les fêtes et les rabbins étaient des personnages récurrents. Les autres éléments de la vie quotidienne étaient aussi très présents (berceuses, évocation des métiers) ainsi que des événements pouvant être mis en chanson comme l'incendie d'un Shtetl ou l'émigration vers les États-Unis. Par ailleurs, la mère étant un acteur primordial de la transmission du savoir dans la culture ashkénaze, elle jouait un rôle prépondérant dans les thèmes des chansons.
La Shoah a détruit une grande partie de la tradition musicale klezmer en Europe. L'immigration aux États-Unis a permis de la préserver en partie, même si progressivement, elle allait passer de mode. Cependant, à partir des années soixante-dix, des artistes se sont à nouveau impliqués dans la musique klezmer, tels que Giora Feidman, le Klezmer Conservatory Band, les Klezmatics avec David Krakauer, et ont permis de remettre cette musique au goût du jour, voire de la faire évoluer dans des directions nouvelles.
Une invitation au voyage
 Aujourd’hui, la vitalité de la musique yiddish réside dans le simple fait qu'elle a su sauvegarder son essence, tout en s'enrichissant des cultures environnantes. Cette musique juive traditionnelle est réinventée au son de nouvelles influences. On peut ainsi brancher du klezmer sur de l’électro, le métisser avec du judéo-espagnol au son du hip-hop ladino, mais aussi arranger des mariages improbables entre des rappeurs en papillotes ou des « reggae-men » aux rythmes détendus avec la clarinette yiddish.
Cette invitation au voyage aux confins de contrées réelles et imaginaires où le passé le plus traditionnel se mêle au présent le plus moderne, est à découvrir absolument, notamment dans le cadre du Festival Jazz n’ Klezmer qui est proposé dans la capitale à l’initiative du Centre d’art et de Culture de l’Espace Rachi. Le renouveau de la musique klezmer n’est donc plus une légende.
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Le klezmer en plein essor

"Télérama" - 29 octobre 2013

Entre tradition et avant-garde, les nouveaux groupes de klezmer touchent au punk ou à l'électro. Le Festival Jazz’n’Klezmer (du 7 au 27 novembre à Paris) en est la vitrine dansante.
C’est une musique pas casher pour un kopeck qui commence à faire trembler quelques temples des grooves actuels, un swing ensorcelant dans la tristesse et dans la joie, toujours volubile mais – littéralement – survolté, et qui, plus que jamais, invite à la danse : le klezmer.
Cette musique juive ashkénaze, colportée autrefois dans les ghettos d’Europe de l’Est, refleurit aujourd’hui hors du cercle communautaire, dans une profusion de samples, de loops, de sons amplifiés et de beats massifs. Prompts à toutes les assimilations, hip-hop, hard rock, dubstep ou punk, nombre de musiciens se sont ainsi engouffrés dans la voie ouverte il y a vingt ans par le subversif compositeur américain John Zorn, chantre d’une « radical jewish culture » à l’esthétique éclatée, et le clarinettiste américain David Krakauer, qui reste un modèle pour beaucoup.
« Ce sont eux qui nous ont convertis au klezmer, de façon fortuite, par leur façon de jouer cette musique et d’en faire autre chose », explique Mikaël Charry, le compositeur 2.0 de l’Anakronic Electro Orkestra. Signé par Jumu, petite agence musicale dédiée à la Nu juwish music, Charry appartient à cette génération de jeunes trentenaires, souvent goys, plus familiers des free parties que des bar-mitsvah, mais avec de l’inventivité à revendre. Sa fusion technoïde, mélange de chants yiddish destructurés et de rythmes drum’n’bass puissants, a fait craquer Krakauer, leur « parrain », mais séduit aussi un public néophyte, plus branché sur l’électro que sur les traditions juives.Un revival pour l’alerte blues des shtetls ? « Plutôt l’invention d’un genre, dont la trace est peu présente dans l’Histoire », corrige Denis Cuniot, le père du piano klezmer, qui défricha la scène française dans les années 90 avec le groupe Orient Express Moving Shnorer (rebaptisé Klezmer Nova). « La “tradition” klezmer est un mythe, poursuit-t-il. A l’époque, le klezmorim était un saltimbanque, un pouilleux. A la différence des Tziganes, qui ont cultivé l’excellence musicale de père en fils, les Ashkénazes n’ont que peu transmis les morceaux. »
Ainsi, l’essentiel du répertoire a été constitué à New York, où le swing klezmer s’est forgé à l’aune du jazz et de la soul du XXe siècle, porté par des figures comme Giora Feidman et un fort ciment communautariste. L’émergence de la mouvance française, du fait d’une culture plus séfarade, a été plus tardive ; essaimée de Paris à Toulouse (Camille Artichaut), de Marseille (Kabbalah) à Strasbourg (Jim Grancamp, Zakarya), elle n’en est pas moins prolifique.
Tzadic, le label très pointu de John Zorn, compte d’ailleurs une dizaine d’artistes français dans son catalogue. Parmi eux, AutorYno, trio de rock parisien qui taquine dans ses réminiscences yiddish un son furieusement punk, avec David Konopnicki à la guitare fretless, friand de riffs saturés façon heavy metal… On découvrira en live leur second album lors du Festival Jazz’n’Klezmer, vitrine parisienne de la créativité hexagonale (entre autres) depuis onze ans. Ainsi que David Konopnicki dans une création avec Denis Cuniot, à la croisée du rock, du trad’ et du classique. « Le klezmer est un petit milieu très ouvert et qui grandit », résume le guitariste.
Décloisonnement des genres oblige, le public s’est élargi. Un essor du klezmer que le clarinettiste Yom, régulièrement sollicité pour des masterclass, constate également « sur le front des pratiques amateurs, avec un fort engouement pour le genre traditionnel ». Avec son psychédélique Empire de l’amour, disque frais dans les bacs, cet ancien de Klezmer Nova, touche-à-tout boulimique qui n’a cessé lui-même de naviguer entre tradition et avant-garde, vise ouvertement le public des dancefloors. Avec les pieds rivés sur ses pédales à effet, mais aussi, affleurant sous les néons fluo et les cantilations véloces de son instrument, une certaine forme de mysticisme, très yiddish.
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Klezmer patrie

"Libération" - 16 novembre 2012 - Par François-Xavier Gomez

Jazz’n’ Klezmer témoigne du retour en grâce des musiques yiddish. Le pianiste Denis Cuniot, en concert ce samedi, s’y consacre depuis trente ans.
La rencontre de Denis Cuniot avec l’univers klezmer remonte à trente ans, lorsque Nano Peylet, clarinettiste du groupe Bratsch, l’initie à cette culture, à l’époque confidentielle. Et qui le devient un peu moins avec la parution du premier disque du duo Cuniot-Peylet, piano et clarinette, en 1989. Deux autres volumes suivront. Aujourd’hui, le terme klezmer est employé couramment, même si on l’utilise, à tort, comme synonyme de musique yiddish.
Mystique 
Denis Cuniot est né à Paris en 1953, d’un père communiste français et d’une mère juive de Pologne. «Les klezmorim, pluriel de klezmer, sont des musiciens itinérants qui apparaissent en Europe centrale au XVIIIe siècle, explique le pianiste. Ils jouent du violon ou de la clarinette, ne chantent pas, et leur musique anime les fêtes, les mariages en particulier.»
Leur apparition est intimement liée au hassidisme, courant mystique qui se développe dans les communautés juives de Lituanie, puis de Pologne et d’Ukraine. Par réaction à une religion rigoriste qui se concentre sur l’étude de la Torah, les hassidim vivent leur relation à Dieu dans la joie, à travers la musique et la danse. «Il n’y aurait pas de klezmer sans le hassidisme, poursuit Denis Cuniot. Les klezmorim ont transcrit avec leurs instruments le chant synagogal, les cantilations des textes sacrés. Ce qui explique le caractère modal de leur musique, leur caractère oriental.»
Pourtant, le klezmer est en marge de la société juive. Pauvre et impie, il n’est utile que lors des fêtes. Le reste du temps, il est rejeté. «Les écrits du XIXe siècle, ajoute Denis Cuniot, distinguent entre le klezmer, vagabond, mauvais instrumentiste, voire voleur, et le musikant, musicien au sens noble, cultivé.»
Le mythe du klezmer virtuose se forge au XXe siècle aux Etats-Unis, où émigre une forte communauté juive d’Europe centrale. Les clarinettistes Natftule Bradwein et Dave Tarras, nés en Ukraine, imposent leur style virtuose, enregistrant des dizaines de 78 tours. Ont-ils influencé le jazz, comme on le dit souvent ? Denis Cuniot n’en est pas convaincu : «On cite en exemple Benny Goodman, mais on n’entend dans sa musique que de brèves citations klezmer.»
La fréquentation des musiciens tsiganes, en Roumanie, introduit dans l’univers klezmer l’accordéon et le cymbalum. Ainsi que les danses roumaines : hora, doïna, sirba. Mais jamais de piano, instrument de riches - et impossible à transporter avec soi. Denis Cuniot fait donc figure de pionnier. «La difficulté, explique-t-il, est de faire durer la note. Le piano n’a ni le souffle de la clarinette ni le vibrato de l’archet sur le violon. J’ai contourné le problème en jouant les notes répétées, et en utilisant la pédale. La main gauche joue le rôle de la contrebasse, en temps-contretemps. tandis que la main droite dialogue avec la clarinette, à l’unisson, ou en ajoutant des ornements.»
Redécouverte
Après la rencontre avec Peylet, Cuniot fait partie, dans les années 90, des Orient Express Moving Shnorers, où s’illustre un très jeune clarinettiste : Guillaume Humery. Le pianiste va accompagner l’ascension de ce brillant soliste klezmer-jazz, connu aujourd’hui sous le diminutif de Yom. Dont le succès atteste la vigueur du renouveau yiddish, des deux côtés de l’Atlantique.
Fidèle à une esthétique dépouillée, Denis Cuniot publie ces jours-ci Perpétuel Klezmer, deuxième volume de piano solo après le très remarqué Confidentiel Klezmer, en 2006, dont Yom assurait la direction artistique. Au fil de bouleversantes mélodies, il orchestre la rencontre entre le jazzman sud-africain Dollar Brand et le clarinettiste argentin Giora Feidman, dont le disque Jewish Soul Music fut, en 1972, à l’origine de la redécouverte du klezmer. Il rend aussi hommage à deux accordéonistes : le Français Eddy Schaff, disparu en 2004, et le New Yorkais Mishka Tsiganov.
Denis Cuniot voit déjà plus loin. Lui qui se fit connaître au sein de Lô, radicale expérience de free-jazz tricolore, avoue : «J’ai gardé un appétit pour la dissonance. Mais je veux aussi me rapprocher du piano judéo-arabe, de cet "oud imaginaire" dont Maurice el-Medioni est le grand maître.»
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A Jewish renaissance in Poland

There are signs that Poles are discovering their lost Jewish heritage and that antisemitism is in decline
Jeevan Vasagar and Julian Borger
"The Guardian" Thursday 7 April 2011


In Kazimierz, once the Jewish heart of Krakow, signs of a revival are everywhere. There are restaurants with Hebrew lettering, a new community centre where students drop in for a Sabbath meal, and even a Jewish kindergarten. And once a year, this quarter is dominated by a celebration of Jewish music, theatre and film that attracts up to 13,000 visitors.
Krakow's Jewish Culture festival is the most prominent symbol of an apparent rejuvenation in the shadow of the Holocaust. This is the nearest Polish city to Auschwitz, but it has also become a place where Poles are discovering their lost Jewish heritage.
The Jewish community centre on Miodowa Street, neighbouring a synagogue defiled by the Nazis but now restored for worship, has seen a steady stream of visitors. Opened in 2008 by Prince Charles, the centre offers Hebrew and Yiddish language lessons and an introductory religious course, alongside yoga, belly-dancing and basketball.
Jonathan Ornstein, the centre's director, says: "I think that people for a few years have been talking about a Jewish renaissance in Poland, in Krakow especially, and that was primarily an interest by non-Jews in Jewish culture, and I think that now we're in a second stage that is totally made possible by this first stage. That's people with Jewish roots getting involved in the Jewish community."
Ornstein says the centre has young people coming in every day who have no contact with Jewish life but want to explore their Jewish roots. One local rabbi tells a story of a Pole who discovered from his mother's birth certificate that she was Jewish, born in Krakow's wartime ghetto. She told him that she had kept it a secret all her life – and then they discovered that the man's father was Jewish, too.
There are reckoned to be slightly more than 100 official members of the Jewish community in Krakow, but 400 who consider themselves Jewish.
The precursor of this renewal has been the festival, now in its 21st year. It is an event that looks both ways, embracing klezmer music and Yiddish movies of the past, but also seeking out the avant garde. This year that includes a "hip-hop meets klezmer" act from the US as well as workshops in Hebrew calligraphy, Jewish cooking and singing, all allowing the audience to get involved.
It acts as a reminder to Poles that their culture is not a "monolith", says the festival's director, Janusz Makuch, citing the influential Jewish songwriter Mordechai Gebirtig as one example. "Gebirtig composed a lot of beautiful songs, sung by the Poles. When Poles sang these tunes, they didn't realise they sang a Jewish song.
"Instead of [being] a hermetic culture, the secular Jewish culture was intertwined with Polish culture."
One of this year's performers, Jarek Bester, of the Bester Quartet, describes his sound as contemporary chamber music that reinterprets traditional Yiddish folk. On CD it is a mix of plaintive violin and thundering accordion.
Bester says: "[The Holocaust] was a kind of intermission in composing and playing klezmer music. I'm trying to provide a continuation of klezmer – I think the way we play is how klezmer music would be played, if it wasn't for the second world war."
Jewish life in Krakow, nearly extinguished by the Nazis, was driven underground in the communist era. Kazimierz, where Schindler's List was filmed, was a neglected and under-populated district under communism. In recent years it has been transformed into one of the hippest parts of the city. Pavements are crowded with cafe tables and streets are lined with vodka bars, vintage boutiques and tiny art galleries. Only the peeling plaster and brickwork of some of the facades gives away the past neglect, and that is rapidly being patched up.
Jewishness has been adopted as a selling point, almost a badge of cool, in a way that is sometimes tasteless. Converted golf carts tout for tourist custom with awnings displaying the itinerary: "Auschwitz, Schindler's factory, Jewish quarter." A local rabbi, Eliezer Gurary, spoke of his disquiet at the Jewish mannequins in shops – dolls of black-robed, bearded men that border on racist caricature. There have been complaints over a "Jewish-themed" restaurant that displays a page of the Torah on its wall.
At the community centre, Ornstein says: "You have some fake Jewish-style restaurants, and I would love those to be restaurants run by Jews, kosher restaurants and actually be realistic. I think that's a way off, [but] we're moving in that direction. These days in Poland the fact that you can call a restaurant a Jewish restaurant and that brings people in, is in itself a positive thing.
"I think the remarkable thing here is that you have a community that's growing, that's optimistic, that feels very safe, and it's going in a direction which is very different to most Jewish communities in Europe."
A survey conducted last year by the Polish Public Opinion Poll Institute indicated a decline in antisemitism among all age groups over the decade. The poll, which asked questions intended to uncover people's belief in Jewish "influence" over Polish politics, found that fewer than 6% mentioned Jewish people when asked about influential minorities, compared with nearly 20% in 2002.
Poland's chief rabbi, Michael Schudrich, believes that the opinion polls on antisemitism fail to show the underlying change in Polish attitudes. "The flaw in all these surveys is that – let's say they show that 20% of Poles have antisemitic attitudes – everyone misses what the other 80% is thinking," Schudrich says at his office at the Warsaw synagogue. "Are they indifferent or are they appalled by the 20%? And it seems to me more and more people are raising their rejection of these antisemitic trends. That's mostly due to John Paul II, who did more to fight antisemitism than anyone in the last 2,000 years."
Schudrich, who was born in New York and first came to Poland in 1992, believes that the late Polish pope, who will be beatified on 1 May, made indifference to antisemitism less acceptable in the Catholic mainstream.
"John Paul II empowered all those people who found it abhorrent," he says. The rabbi believes he is seeing a subtle, slow but telling transformation in the relationship between Polish Jews and the wider community.
"I get these calls from town X saying: 'We feel an obligation to perpetuate the memory of the Jews who once lived here.' It used to be: 'What can be done to clean your cemetery.' Now it's: 'What can be done to clean our cemetery.'"
On Tuesday the chief rabbi was in the eastern Polish town of Zamosc, along with ambassadors from the US, Germany and Israel, at the restoration of a 17th-century synagogue. The building is considered a jewel of Renaissance architecture, and will house a Polish Jewish cultural centre.
Schudrich chooses his words carefully when talking about Golden Harvest, a controversial new book by a Princeton University professor, Jan Gross, about Poles who dug up the mass graves of Jews killed in the Holocaust looking for gold and precious stones.
"It's important to talk about this subject. Some people did horrific things, but we knew this already. The question is: was it rampant? In Treblinka and in Birkenau, was it the same 50 people doing this each time, or a different 50 people?" Schudrich says. "You could come away with the impression that everyone did it.
"And were they doing it because the victims were Jews, or because the Nazis destroyed any sense of morality so everything was permitted? I don't know. Gross writes in a way to provoke, not to educate, and Poles don't react well to it. Because of the style, too many people reject what he has to say."
On a bright afternoon recently in Kazimierz a boy in a kippah (skullcap) walked along the street where a few hours earlier a golf cart filled with tourists had trundled past. Poland was once home to the second largest Jewish community in the world, and any revival is the faintest echo of what was destroyed – but it is a source of great pride to a city with 700 years of Jewish history.
Makuch, of the Jewish Culture festival, says: "We are sitting in Kazimierz, founded by one of the Polish kings in 1335; we are surrounded by seven beautiful synagogues built mostly in the baroque and Renaissance periods. Poland, and especially Krakow, was proud of cultural pluralism – a lot of people lived here: Poles, Jews, Russians, Armenians, all kinds of guys, and they lived together, and they respected each other.
"That's what I'm trying to explore and what I'm trying to keep. Everything was mixed, everything was intertwined before the second world war; almost everything."
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La "musique radicale juive" se fait entendre à Paris

Le Monde - 26 avril 2010 -  Par Véronique Mortaigne

Le Musée d'art et d'histoire du judaïsme (MAHJ) de Paris présente, jusqu'au 18 juillet, une exposition sonore, "Radical Jewish Culture", qui revient sur le mouvement musical new-yorkais fédéré par le compositeur et saxophoniste John Zorn. Des musiciens issus de l'underground américain - du free-jazz, du punk, du rock progressif, de la musique contemporaine, etc. - des années 1980 réunis sous la bannière de la culture juive "radicale", au sens artistique.

L'exposition, qui doit faire avec l'architecture tarabiscotée de l'aile droite de l'hôtel de Saint-Aignan, est riche en documents sonores. Elle permet d'entendre, casque sur les oreilles, la musique et les explications, en vidéo, des protagonistes de ce mouvement protéiforme. Qu'est-ce qu'une musique juive ? Quel rapport y-a-t-il entre la tradition klezmer d'Europe centrale et l'effervescence contestataire de l'East Village ?
La musique klezmer vient des shtetls, les villages d'Europe de l'Est, où l'on jouait pour les mariages et les fêtes des musiques empruntant au répertoire hassidique autant qu'au folklore des pays traversés par les musiciens ambulants, juifs ou non. La clarinette en était l'instrument roi. "La Shoah avait fini de creuser la tombe du klezmer", explique le trompettiste et compositeur Frank London, comparse de Zorn. Mais aux Etats-Unis, les migrants du début du XXe siècle en avaient très tôt recomposé l'architecture.
Très appauvri jusqu'aux années 1960, le klezmer reprend de la vigueur avec la nouvelle vague de musiciens de jazz et la contre-culture américaine - l'exposition du MAHJ fait état de la Beat Generation des années 1950, avec en particulier Allen Ginsberg (couvertures de livres originaux), les oeuvres de Wallace Berman (1926-1976), adepte de la kabbale et des collages visuels, dont certains sont ici présentés.
"Le yiddish avait un côté bâtard en regard de la culture juive, explique London. Il était une alternative. Il y a eu un fort mouvement queer yiddish, une fierté yiddish comme une fierté gay." Et le klezmer se remet en marche avec joie, avec le Klezmer Conservatory Band, puis les Klezmatics par exemple. Apparaissent des figures de proue de ce jazz mélangé, comme David Krakauer. "Dans l'appellation Radical New Jewish Music, chaque mot est problématique, résume le guitariste Marc Ribot, parti ensuite vers des horizons cubains. Nous participions à un mouvement musical, tous ensemble, mais nous n'avions pas mis le cadre "juif" autour."
Ce sera chose faite en septembre 1992, au festival Art Projekt de Munich, dont Zorn est l'un des programmateurs invités et où toute la scène parallèle new-yorkaise est représentée. Zorn crée Kristallnacht, pièce référence à la sinistre Nuit de cristal de 1938. Les musiciens portent l'étoile jaune. On peut voir au MAHJ l'intégralité de ce concert.
En 1993, ils organisent des soirées Radical Jewish Music à la Knitting Factory, dans le Lower East Side. Dans la foulée, Zorn affirmera son identité juive en fondant le quartette Masada, nom de la forteresse du désert de Judée où les Juifs résistèrent aux Romains en l'an 70. Les pochettes sont magnifiques. 
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Radical Jewish Culture

Scène musicale – New York
John Zorn, David Krakauer, Anthony Coleman, Marc Ribot, Frank London, Ben Goldberg... (Source : dossier de presse)

« Il est important de se rappeler que la Radical Jewish Culture pouvait signifier des tas de choses différentes…
pour moi, c’était affaire de communauté
pour Marc, c’était politique, polémique
pour Anthony, c’était une esthétique de l’identité
pour certains, c’était d’abord de la musique…
pour beaucoup, ce ne fut qu’un cachet ! »

John Zorn, New York, 2008 (traduction Jacqueline Carnaud)

Klezmer, NY

Le mot « klezmer » est un terme yiddish dérivé de l’hébreu kelei zemer, signifiant « instruments de musique ». On le retrouve dans l’expression klezmorim qui dès la fin du Moyen Age désigne les troupes de musiciens juifs qui parcourent l’Europe orientale et balkanique pour animer les cérémonies des juifs ashkénazes. Marqué par la musique synagogale et les chants sans paroles (niggunim) composés au XVIIIe siècle dans certains cercles religieux orthodoxes, le répertoire des klezmorim est fortement influencé au XIXe siècle (moment où se constitue l’essentiel du répertoire aujourd’hui) par les mélodies et les rythmes des musiques populaires de l’Europe centrale et balkanique – grecque, tzigane, roumaine, bulgare.
L’immigration massive des juifs ashkénazes vers les Etats-Unis à partir des années 1880 permet une diffusion de cette musique outre-Atlantique – et entraîne rapidement de profondes transformations. Une fois implantés en Amérique, les musiciens klezmer bouleversent instrumentation et rythmes sous l’influence du swing et du vaudeville. La clarinette, entre les mains de Naftule Brandwein (1889 - 1963) et Dave Tarras (1897 - 1989), devient l’instrument central, supplantant le violon. Cependant, les années 1960 marquent une rupture avec la période précédente : le klezmer est délaissé par la jeune génération de juifs américains qui le perçoit comme la musique du ghetto. Dix ans plus tard, alors que l’Amérique renoue avec ses cultures minoritaires, des musiciens – Andy Statman, Zev Feldman, Michael Alpert – réhabilitent le répertoire des musiques de fêtes ashkénazes et popularisent le mot « klezmer » : ils cherchent par ce biais à se reconnecter à une tradition musicale, mais également culturelle largement oubliée. On parle alors de « Klezmer Revival ». La génération de musiciens new-yorkais qui émerge dans les années 1980, Don Byron, Frank London, Alicia Svigals et plus tard David Krakauer, se refuse à toute nostalgie et va puiser dans le klezmer la même énergie qu’elle trouve dans le funk, les musiques improvisées, le rock ou le blues. Ce mouvement de réappropriation suscite des débats que les musiciens juifs issus de l’underground new-yorkais portent sur le devant de la scène : en quoi le klezmer, même réactualisé, parle-t-il plus de leurs origines que les autres musiques avec lesquelles ils ont grandi ?
Munich Art Projekt
En 1992, le producteur allemand Franz Abraham convie le saxophoniste et compositeur John Zorn, figure centrale de l’avant-garde musicale new-yorkaise, à concevoir un programme de musiques nouvelles à Munich, berceau jadis du parti nazi. John Zorn intitule ce programme Festival for new radical Jewish Culture. Il y invite Lou Reed (Velvet Underground), le saxophoniste John Lurie (Lounge Lizards) et Tim Berne, mais aussi les guitaristes Marc Ribot et Elliott Sharp, le pianiste Anthony Coleman, le saxophoniste Roy Nathanson ou encore la vocaliste Shelley Hirsch. Ces musiciens évoluent dans les sphères du rock alternatif, des scènes no-wave et punk, des musiques improvisées ou du jazz. À l’exception du New Klezmer Trio de Ben Goldberg, aucun d’entre eux ne joue de gammes klezmer et pourtant tous participent à ce
programme de « nouvelle musique juive radicale » : c’est ce paradoxe qui pour certains crée précisément la radicalité et la nouveauté du festival. Marc Ribot et John Zorn rédigent un manifeste qui tente plus largement de retracer la genèse des musiques alternatives du New York des années 1980 à travers des sources juives. Il y est fait mention d’une « tradition cachée », celle d’un judaïsme subversif, irrigant secrètement les musiques jouées par ces musiciens refusant de considérer le klezmer comme leur idiome de prédilection. Après cet événement, des tournées de Radical Jewish Music sont organisées parallèlement à New York et en Europe de l’Est, incluant davantage de groupes de klezmer. En 1995, John Zorn crée à New York le label Tzadik qui propose une collection intitulée « Radical Jewish Culture".
Kristallnacht
Lors du Festival for Radical New Jewish Culture à Munich en 1992, John Zorn présente une pièce intitulée Kristallnacht pour remémorer les pogroms perpétrés par les nazis la nuit du 9 novembre 1938. Marc Ribot (guitare), David Krakauer (clarinette), Anthony Coleman (claviers), Frank London (trompette), Mark Feldman (violon), Mark Dresser (contrebasse) et William Winant (percussions) participent à cette performance qui frappe les esprits : dans une salle à l’atmosphère angoissante, John Zorn dirige cette composition qui en sept mouvements propose une relecture personnelle de l’histoire juive avant, pendant et après la Shoah. Véritable rituel musical, cette pièce est également l’une des plus kaléidoscopiques de John Zorn : des références à la numérologie juive et au dodécaphonisme d’Arnold Schönberg côtoient des évocations douloureuses du klezmer et des irruptions de musique bruitiste, de free jazz et de rock. Le second mouvement, Never Again, est une longue déflagration de bris de vitre entrecoupée de chants de synagogue : l’histoire de la persécution des juifs d’Allemagne n’y est plus souvenir mais réalité physique à ressentir dans l’instant. En faisant ainsi écho à ce lieu de la mémoire juive qu’est la Nuit de Cristal, John Zorn signe le premier manifeste musical de la Radical Jewish Culture.
Traces
Foyer important du renouveau de la culture yiddish au début du XXe siècle, New York a toujours occupé une place de choix dans l’imaginaire des juifs américains. Le Lower East Side, quartier du Sud de Manhattan, forme le coeur mythique de ce New York juif : les traces d’enseignes peintes en yiddish, les devantures délabrées des synagogues et des librairies, les théâtres yiddish reconvertis en salles de concert forment les indices matériels de la mémoire des juifs ashkénazes qui s’y sont installés en nombre dans les années 1880-1920. Laissé à l’abandon par les promoteurs immobiliers après guerre, le Lower East Side voit alors fleurir les lofts d’artistes et devient le refuge des avant-gardes esthétiques et de la contestation politique. La jeune garde musicale qui s’y installe à la fin des années 1970 découvre un paysage urbain qui agit comme un palimpseste dans lequel l’ancien n’a pas été complètement effacé par le nouveau. Les musiciens Anthony Coleman, Shelley Hirsch, Roy Nathanson, les cinéastes Chantal Akerman et Ken Jacobs mettent en scène cette mémoire juive brisée, recréée à partir des traces laissées dans la ville, non sans ironie. Ces artistes soulignent combien cette ville est autant la « terre promise » d’une culture juive qui a pu s’y épanouir sur une durée inégalée que la ville cosmopolite où se réinventent sans cesse les identités des individus.
Radical Jews
Dans le sillage du Festival for Radical New Jewish Culture de Munich de 1992, le producteur Michael Dorf organise des festivals de Radical new Jewish music dans le club dont il est propriétaire, la Knitting Factory, situé en plein coeur du Lower East Side. Ces manifestations sont l’occasion de débats collectifs sur le sens et la forme à donner à la communauté des musiciens juifs new-yorkais, ainsi qu’à leur engagement musical. Elles sont souvent programmées au moment de la fête de la Pâque juive (Pessah), consacrée le premier soir à la lecture de la Haggadah, texte relatant la Sortie des Hébreux d’Egypte, qui enjoint notamment tout juif à s’interroger sur le sens d’une liberté toujours présentée comme précaire et à reconquérir. Ces musiciens, majoritairement laïcs, déplacent le rituel de Pessah et en font un moment de contestation. Très marqués par les mouvements de revendication des minorités culturelles, sexuelles et politiques qui se sont affirmés dans l’Amérique des années 1970, Frank London et les Klezmatics, le groupe G-D Is My Co-Pilot, Marc Ribot, Elliott Sharp participent à des performances qui transgressent les codes culturels communément admis. Ils s’investissent également dans des luttes locales, contre la destruction de synagogues du Lower East Side, ou internationales, contre la guerre en ex-Yougoslavie ou au Proche-Orient au nom d’un idéal de justice sociale librement inspiré du concept messianique de réparation du monde (tikkun olam), auquel se réfèrent certains courants mystiques juifs et différemment les mouvements modernistes au sein du judaïsme américain.
Invocations
Fascinés par la force mystique qui à leurs yeux se dégage de certains rituels pratiqués par les juifs religieux (tels ceux résidant à Brooklyn), certains artistes convoquent pour illustrer leurs albums une iconographie dont émane une immédiateté dans la relation au divin, pouvant confiner à l’hérésie. Ils trouvent un équivalent musical à ces pratiques dans les niggounim, mélodies sans paroles récitées à l’occasion de certaines fêtes juives par les hassidim en quête de communion collective. Les figures qui peuplent les tableaux de l’artiste d’origine russe Grisha Bruskin évoquent un univers d’où la raison s’absente pour faire place au rituel magique. Frank London en a fait une source d’inspiration majeure. D’autres musiciens, tels les artistes sonores Oren Ambarchi ou Z’EV, puisent dans les classiques de la mystique juive des principes de combinaison de chiffres et de lettres qu’ils développent ensuite dans leurs oeuvres expérimentales. Ils opèrent avec la même liberté que leurs aînés issus de la scène de la Beat Generation, notamment Allen Ginsberg, figure tutélaire de ce mouvement et auteur en 1959 du poème Kaddish, qui s’éloigne de la traditionnelle prière des morts chez les juifs (le kaddish) pour entraîner le lecteur dans un long tourbillon aux accents méditatifs.
Masada
En 1993, John Zorn poursuit son exploration des musiques juives en créant le groupe Masada. Prenant modèle sur l’instrumentation du quartet « révolutionnaire » monté en 1959 par le père fondateur du free jazz Ornette Coleman, John Zorn marque une nouvelle étape dans sa démarche de compositeur. Privilégiant aux compositions structurelles complexes des lignes mélodiques simples basées sur les gammes dites sémitiques également utilisées dans la musique klezmer, John Zorn cherche explicitement la grammaire d’une « nouvelle musique juive ». Les influences de cette musique n’en demeurent pas moins éclectiques, allant du free jazz à la musique surf. De 1993 à 2006, 613 compositions sont écrites parfois au rythme de cinq compositions par heure.
Le choix du symbole de Massada comme nom du groupe a suscité des polémiques. Cette forteresse du désert de Judée a été le théâtre d’un épisode fameux de la révolte juive contre les Romains en 70 de notre ère : le suicide collectif des derniers combattants juifs avant l’assaut final des Romains. Il est devenu le symbole controversé de la résistance nationale juive face à l’ennemi. L’iconographie des albums de Masada – des lettres hébraïques posées sur des bribes de parchemins évoquant les Manuscrits de la Mer Morte – rapprochent l’univers de Masada de l’expérience extatique du désert. Elles font écho au travail réalisé à la fin des années 1950 par le plasticien Wallace Berman, figure centrale de la scène Beat auquel John Zorn rend hommage dans une pièce qui lui est dédiée. Dans Masada, John Zorn fait également des références appuyées à deux grands penseurs du judaïsme au XXe siècle : Ahad Ha’am (1856-1927), intellectuel ayant milité pour un renouveau spirituel du peuple juif sur la Terre d’Israël, et Gershom Scholem (1897-1982), dont l’oeuvre considérable a permis une redécouverte et une réhabilitation des grands textes de la mystique juive.

Voir et écouter la table ronde d'AKADEM sur le même sujet :
http://www.akadem.org/sommaire/themes/liturgie/15/4/module_7924.php
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Klezmer et musique tzigane s'exportent et inspirent le monde

Par Arnaud Cabanne – Mondomix 01/08/2009

A l'instar d'une Amérique du Sud où tango, samba, salsa, cumbia, sont récupérés et réarrangés par de nouvelles générations d'artistes, les musiques d'Europe de l'Est connaissent depuis quelques années un renouveau sans précédent.Terre de polyphonies slaves, de folies cuivrées, de fanfares tziganes et de grandes voix masculines et féminines, l'Europe de l'Est se trouve aux frontières des mondes occidentaux, asiatiques et orientaux. Les influences successives ottomanes, slaves ou latines ont façonné des cultures musicales riches et variées qui ont su traverser les âges pour inspirer les nouvelles générations et fusionner avec les sonorités actuelles.
Un imaginaire alimenté par des « classiques »
Longtemps, la région a été représentée par les grandes divas Maria Tanase et Esma Redzepova ou par les beaux mais austères chœurs du « Mystère des Voix Bulgares ». Puis, elle a alimenté notre imaginaire avec les films des réalisateurs mélomanes Emir Kusturica et Tony Gatlif, la musique de Goran Bregovic, et les fabuleux groupes tsiganes comme le Taraf de Haïdouks roumain ou la fanfare macédonienne Koçani Orkestar.
Mais aujourd'hui, ces musiques ont trouvé de nouveaux alliés dans d'autres coins du monde. Des artistes puisant leur inspiration dans les traditions musicales tsiganes, juives et orientales de cette partie de l'Europe. Depuis une dizaine d'années, deux mouvements se mettent en valeur, envahissant soirées et fêtes des grandes métropoles en revisitant les formes classiques.
Des traditions revisitées par une nouvelle scène de DJ
Le premier est le plus souvent inspiré par les formations tsiganes animant la vie, les mariages et les enterrements des peuples des Balkans (comme le rappel si bien le nom du groupe de Goran Bregovic : « Orchestre des mariages et enterrements »).
Toute une génération, dont le dj allemand DJ Shantel ou la plantureuse Roumaine Miss Platnum, récupèrent et réinterprètent les sonorités et les rythmes de ces musiques en les mêlant aux sons électriques et électroniques qui caractérisent notre époque.
En France comme ailleurs, les choses ont évolué. Les groupes comme Bratsch, les Yeux Noirs, le Slonovski Bal ou la Caravane Passe, ont écumé les scènes avec des formations relativement traditionnelles.
Mais l'apparition de personnages tel que Dj Click, remixeur acharné, qui a, entre autres, travaillé avec la chanteuse, comédienne et déjantée Rona Hartner, montre que l'intérêt du public pour le son des Balkans a largement débordé les murs des salles de concert pour investir les clubs et les bars branchés.
Aux Etats-Unis, les Balkan Beat Box secouent ces musiques en les mêlant au hip-hop et au rock les plus débridés.
Alors que le combo folk, originaire du Nouveau Mexique, A Hawk and A Hacksaw, les conduit plus paisiblement vers d'autres horizons.
Le second mouvement musical qui, depuis quelques années, rencontre un important succès est le klezmer. Cette musique née entre la Pologne, l'Ukraine et la Russie, a évolué avec le mouvement des populations juives d'Europe centrale et de l'Est (ashkénazes) avant de trouver aux Etats-Unis, en Israël et, dans une certaine mesure, en France, des terres d'accueil et d'hybridation.
Dans les années 80, il n'y avait guère que les Klezmatics de Frank London à être connus internationalement. Le pape de ce « revival », qui a d'ailleurs joué avec ce groupe, est le clarinettiste David Krakauer. Produit par le label Tzadik de l'exigent musicien John Zorn, il a su y mêler des ornementations jazz et des envolées hip-hop grâce à ses collaborations avec le rappeur décalé Socalled, et a ainsi ouvert la voie à toute une nouvelle génération d'artistes décomplexés comme Yom, l'autoproclamé « New King of Klezmer Clarinet » ou Oy Division.
De son côté, le pianiste français Denis Cuniot a lui aussi longuement travaillé la matière klezmer offrant une réinterprétation à la fois douce et complexe de cette musique ancestrale.
Guettez les programmations estivales car vous y trouverez des traces de tous ces musiciens. Et si vous vous décidez à visiter Budapest en Hongrie début août, ne ratez pas le Sziget Festival qui se déroule du 11 au 17. C'est LE lieu pour découvrir les musiques d'Europe de l'Est.

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Le feu du klezmer brûle à nouveau 

Par Christophe Cheynier - AFP Paris, 2 fév 2009

Presque éteint par l'exode et la Shoah, le feu du klezmer, musique des communautés juives d'Europe centrale, a été ranimé dans les années 70 à New York et Buenos Aires et crépite aujourd'hui plus fort que jamais, dans le Vieux continent comme le Nouveau monde.
"Le revival du klezmer dans les années 70 n'avait eu qu'un retentissement limité, ne concernant pas plus d'une cinquantaine de groupes. L'explosion, elle a lieu maintenant, depuis 2000 c'est le délire", explique à l'AFP le pianiste Denis Cuniot, la "bible" du genre en France.

Né au XVe siècle, le klezmer (littéralement "l'instrument du chant"), musique tantôt riante tantôt plaintive reflétant les états d'âme du peuple ashkénaze, connut son apogée au début du XXe siècle, avec l'apparition de l'enregistrement et la professionnalisation de nombreux musiciens.
Lors des siècles derniers, cette musique animait rues, places et fêtes juives rituelles et familiales, avec parfois une pointe d'impertinence par rapport à la tradition. Le klezmer a ensuite été enfoui dans les bagages des millions d'émigrants juifs d'Europe centrale vers le Nouveau monde, dont l'ont ressorti leurs petits-enfants. "On fait une musique dont on sait d'où elle vient mais pas exactement où elle vit", souligne le jeune clarinettiste français Yom, auteur fin 2008 d'un premier album remarqué.
"Elle vient d'Europe centrale et orientale, Roumanie, Pologne, Ukraine, Russie, Moldavie, Hongrie. Aujourd'hui c'est une musique sans patrie", renchérit Denis Cuniot, qui rappelle que la Shoah avait porté un coup presque fatal au genre. L'instrument roi en est la clarinette, qui a supplanté le violon. Hier Naftule Brandwein, Dave Tarras, aujourd'hui Giora Feidman, David Krakauer,Yom... les grands klezmorim sont clarinettistes.
Dans son disque "The New King of klezmer clarinet", Yom rend hommage à Naftule Brandwein, la première star moderne. Ukrainien émigré à New York, ce personnage truculent fit une carrière brillante dans les années 20, s'affublant du titre de "king"."C'est devenu la référence absolue du klezmer, car c'est le premier musicien venant d'Europe à avoir enregistré aux Etats-Unis", note Yom.
Le klezmer se métisse. Celui de Yom a une touche orientale et modale. Celui du groupe français Yankele, qui a publié récemment l'album "Paris Klezmer", prend des teintes musette. Dans le disque "Zaraza", les Néerlandais du Amsterdam Klezmer Band imprègnent leur klezmer de jazz et de swing. Le New-yorkais d'origine polonaise David Krakauer, l'un des grands noms actuels du genre, ouvre le sien au funk et à l'électro.
"On peut mélanger le klezmer avec n'importe quoi, pourvu qu'on conserve son émotivité permanente", estime Yom, 27 ans et passionné depuis son enfance. Lors de son concert du 13 février à Nanterre, dans le cadre d'une tournée, il sera accompagné par l'un des pionniers du renouveau du klezmer, le clarinettiste argentin Giora Feidman, 72 ans. David Krakauer, lui, donnera une tournée européenne en mars, qui passera notamment par la Salle Pleyel à Paris le 22. Dans son groupe figure Socalled, DJ canadien aux allures de savant fou qui truffe sa musique électro de samples de klezmer. L'une de ses chansons, "You Are Never Alone", a beaucoup été entendue sur les radios en 2007. Il sera lui-même en tournée en France en mars.
La planète klezmer tourne à nouveau et Israël en fait partie: le groupe Oy Division, qui interprète un klezmer traditionnel, en est un exemple récent.

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Le retour de la musique klezmer  

par Alain Guillemoles, à Lublin (Pologne) - La Croix 7 juillet 2008

À travers des festivals ou des concerts, des musiciens polonais remettent la musique populaire juive à la mode.

«C’est une musique universelle. Chacun y trouve des thèmes familiers. Et les gens qui l’écoutent ont immédiatement besoin de danser, tant elle véhicule d’énergie. » Violoniste de Lublin, en Pologne, Tomasz Czaplinski a découvert la musique populaire juive à l’occasion d’une pièce de théâtre où il interprétait un musicien juif, il y a onze ans.
Marqué par cette expérience, il a ensuite créé avec sa femme Elzbieta un groupe qui se consacre à la musique klezmer, le Lubliner Klezmorim. « Nous jouons cette musique depuis, sans nous lasser. Nous avons été les premiers ici. Mais il est fort probable que se sont créés, depuis, à Lublin, plus de 15 groupes jouant cette musique. » Depuis quelques années, le klezmer est devenu à la mode en Pologne. Tous les ans, début juillet, un festival accueille à Cracovie les meilleurs groupes de musique klezmer. Varsovie a également son festival de culture yiddish où la musique klezmer est en bonne place. Cette musique retrouve une nouvelle jeunesse à la demande des touristes étrangers, qui sont à la recherche des traces de la culture juive d’avant-guerre. Mais aussi à la demande des Polonais qui redécouvrent ces airs où se mêlent la joie et la nostalgie.
Une musique populaire qui était jouée pendant les noces
« Il s’agit d’une musique populaire qui était jouée pendant les noces », explique Tomasz. Un violon, une clarinette, un accordéon et une contrebasse ; telle est la formation classique des groupes de musique klezmer. Les chansons sont généralement en yiddish. Elzbieta a appris par cœur les paroles. Les chansons parlent des fêtes juives, d’amour, ou de thèmes religieux empruntés aux hassidim, les mystiques juifs. Les musiques se nourrissent d’influences balkaniques et tsiganes. Certains musiciens choisissent de composer et d’élargir le répertoire. Mais le Lubliner klezmorim préfère interpréter les classiques.
« Nous avons choisi de jouer les morceaux les plus joyeux. Pour nous, c’est une musique de vie. D’autres groupes mettent plutôt l’accent sur le côté nostalgique. Mais pour nous, qui ne sommes pas juifs, il nous semble plutôt qu’il faut revenir à l’origine du klezmer et garder le côté le plus vivant. Il serait difficile de parler à la place des juifs de ce qu’ils ont vécu… »
Le Lubliner klezmorim joue régulièrement dans un restaurant juif de Lublin. Le groupe a aussi été invité pour une tournée en Allemagne, au Portugal, et en Israël. « Parfois, après le concert, des gens viennent me voir et me parlent en yiddish. Ils sont émus et croient que je connais cette langue. Je suis désolée de ne pouvoir leur répondre », dit Elzbieta.
Voir le site polonais "Jews in Poland" http://www.zydziwpolsce.edu.pl/awprowadzenie.html
 

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A New York, Varsovie ou Paris : le klezmer revival
par Anne Madelain  (2004)
Anne Madelain a été attachée culturelle à Belgrade et Podgorica et a travaillé à l’Institut français de Bucarest. Elle s’intéresse aux cultures des pays de l’Est et des Balkans. Elle fait partie de la rédaction du "Courrier des Balkans".

Dans la cave de L’Olympic Café, à la Goutte d’Or, de jeunes Parisiens se bousculent pour participer à un “vrai-faux mariage juif” déjanté... La mariée est un homme, mais la vodka servie n’est en rien trafiquée, et l’on danse comme on peut dans l’espace réduit et surchauffé. Ambiance assurée pour ce festival que les organisateurs ont voulu au cœur du quartier le plus populaire et le plus multiculturel de Paris.
En France, on pense en général que tout ce qui vient de l’Est est tzigane”, s’exclame Frédérique Berni, l’initiatrice de Baba Yaga, un nouveau disquaire indépendant et associatif qui diffuse des labels belgradois introuvables ailleurs, des nouveautés de la scène électro russe ou polonaise et, bien sûr, du klezmer. Cette musique, née au sein des communautés juives d’Europe de l’Est, a été redécouverte dans le monde anglo-saxon il y a plus de vingt ans. “La France a raté le coche des années 1970, raconte Frédérique Berni. On ne connaissait de cette musique que les chansons yiddish maintenant on redécouvre le klezmer dans un contexte de fusion.
A Cracovie, dans son deux-pièces de banlieue, Shimsho Grossmann initie de jeunes Polonais au chant yiddish traditionnel. Ce vieux pianiste juif originaire d’Ukraine enseigne une manière “de moduler la voix” autrefois transmise de génération en génération. Soucieux de retourner aux sources du klezmer, le musicien et musicologue américain Yale Strom a filmé Grossmann à son retour en Ukraine, sur les traces de ses proches assassinés. Le documentaire qu’il a réalisé, The Last Klezmer, suit les retrouvailles inattendues du pianiste avec un vieux complice musicien, sa visite d’une ville vidée de ses anciens habitants, où la mémoire des Juifs fusillés s’est peu à peu estompée… Pour tromper la douleur, on danse et on chante. On ligote l’émotion dans le son du violon. Quand Grossmann retrouve la fille de son ancien professeur de piano décédé, elle peine à se remémorer l’enfant qu’il était… Alors le vieil homme se met au piano et rejoue les airs millénaires qui accompagnaient leur monde englouti.
Depuis le début des années 1980, Yale Strom quitte régulièrement New York pour sillonner l’Europe orientale, de Vilnius à Odessa en passant par Czernowitz et Varsovie, à la recherche des rythmes oubliés des musiques juives ("The Book of Klezmer", Capella, Chicago 2002). “Alors que d’autres fouillaient dans les bibliothèques américaines, moi je suis venu en Roumanie”, explique-t-il. Il est l’un des invités de la deuxième édition du festival de théâtre yiddish Avram Goldfaden à Iasi, capitale de la Moldavie roumaine, où fut créé en 1876 le premier théâtre en langue yiddish au monde. En octobre 2003, à l’initiative du Centre culturel français d’Iasi, le festival a accueilli pour la première fois de nombreux groupes de klezmer, presque tous étrangers.
Dans cette région où la tradition juive était si vivante avant guerre, seuls quelques vieux, ou certains musiciens tziganes, connaissent encore les mélodies des mariages juifs. Ici, comme en Ukraine ou en Moldavie, foyers traditionnels des communautés juives et des musiques populaires, le nom “klezmer” est inconnu. A Odessa ou à Bucarest, les rayons “world music” des CD-shops flambant neufs ne contiennent que des albums de musique cubaine ou turque. Pourtant, cette musique connaît un nouvel engouement dans la Pologne voisine, où le festival de culture yiddish de Cracovie, avec des milliers de spectateurs, est devenu en quelques années le rendez-vous incontournable du klezmer.
Musique errante
Kley-zemer, “musique instrumentale” en hébreu, est devenu klezmer en yiddish. Dès le Moyen Age, des troubadours juifs l’ont colporté de fête en fête, en France, en Allemagne, puis plus à l’est, dans les shtetl et les ghettos des villes d’Europe centrale, jusqu’en Russie. Ses mélodies, ses danses, rythmaient la vie quotidienne, en particulier les mariages et les fêtes de Pourim, lorsque, pour une nuit d’ivresse, la parodie était reine.
C’est comme la bande-son des communautés juives d’Europe centrale”, explique Yale Storm. Aujourd’hui, ses mélodies les plus célèbres (telle la berceuse “Rozhinkes mit Mandlen”) viennent du théâtre en langue yiddish, mi-opérette mi-cabaret, qui s’épanouit au début du XXe siècle sur les scènes de Varsovie et de Berlin, puis émigra aux Etats-Unis, lorsque les Juifs fuirent les pogroms et la misère des plaines russes.
Même mêlé à la douceur d’une complainte roumaine (doïna) ou au rythme endiablé d’une polka, il y a dans cette musique quelque chose de reconnaissable entre tout, un passage presque immédiat de la joie à la tristesse, un déséquilibre qui fait dire qu’elle touche directement l’âme.
Le yiddish vient-il de l’hébreu ? Non, cela ressemble au vieil allemand. Au fur et à mesure de leurs déplacements, les Juifs ont parlé un vieil allemand dans lequel ils ont introduit des mots hébreux, puis français, puis slaves, hongrois, etc. Pour la musique, c’est pareil, les musiciens ont emprunté les mélodies qui les entouraient et les ont jouées d’une manière juive”, explique encore Yale Storm. Cette “manière juive”, faite de dissonances et d’improvisations, place au premier plan la mélodie, quitte à provoquer ce que les spécialistes appellent l’hétérophonie, ce moment où plusieurs instruments jouent la même mélodie dans une interprétation différente… De ses origines religieuses, elle garde un “son” qui, parce qu’il s’inspire des voix gutturales des prières et des chants hassidiquesdes juifs orthodoxes, fait aussi penser au chant du muezzin. Comme le jazz, elle aime les successions rapides d’accords dissonants et les variations de tempo…
Dans son exil américain, le klezmer a accueilli l’influence – d’ailleurs réciproque – du jazz et des comédies musicales. Dans le même esprit, le revival actuel mélange joyeusement les rythmes et les traditions. Ainsi l’Américain David Krakauer, star du dernier festival de Cracovie, sa ville d’origine à laquelle il rend un vibrant hommage dans son album Live in Krakow (Label Bleu 2002), mêle avec brio violon klezmer et rythmes électro-funk, rap et jazz. Pour Detlef Huschenreuter, clarinettiste et directeur du Rock Theater de Dresde en Allemagne, qui accueille également un festival de musique yiddish, “ce mélange ne nuit en rien”. Il traduit au contraire “l’authenticité” de la musique, lui rend sa vitalité et la sort du musée. Lui-même est le seul Allemand d’une formation baptisée Yiddish Balkan Express. Il joue avec des Roms roumains, dans un mélange explosif de cuivres, de cordes et de percussions… Ambiance à la Bregovic, où, tout à coup, surgit le son nostalgique de la clarinette.
Le courant vient des Etats-Unis (David Krakauer, The Klezmatic, etc.), passe par Amsterdam (Klezmer Band, Limonchiki) et Varsovie (Kroke, Krakov Klezmer Band)… En France, si Klezmer Nova est le seul groupe important à avoir exploré cette musique dès les années 1990, Bratsch ou les Yeux Noirs ont aussi emprunté au fond klezmer. Et quand certains critiquent la fusion qui nous prive des richesses encore non explorées de cette grande tradition musicale, la plupart des musiciens s’adonnent joyeusement au mixage… “Je ne vois pas l’intérêt, en France, de jouer de la musique klezmer traditionnelle comme en 1920. Il faut la réactualiser”, résume Guillaume Humery, jeune clarinettiste de Klezmer Nova, également compositeur.
Identités
Comme beaucoup de musiques traditionnelles, le klezmer a perdu sa base populaire. Mais il l’a perdue d’une manière infiniment plus tragique, avec l’extermination des communautés juives d’Europe. Après l’oubli, jouer du klezmer, c’était un peu retrouver les racines d’une culture assassinée. Aujourd’hui, l’enjeu est différent : en Occident, où la question identitaire a pris une nouvelle actualité, les musiciens rappellent que les Juifs, comme les Tziganes, grands troubadours de la musique en Europe, étaient justement ceux qui empruntaient et réinterprétaient les musiques des autres. “De port en port, de terre en terre, la musique, comme la cuisine, s’est nourrie des divers apports des pays rencontrés”, écrit Pierre Wekstein, en préface du dernier album de Klezmer Nova, dont il est l’initiateur.
Alors, c’est l’esprit “apatride” de cette musique et en même temps son cousinage avec les autres musiques de l’Est que semblent vouloir promouvoir les nouveaux adeptes du klezmer à la française. “L’important, c’est de s’intégrer dans les festivals de musique de l’Est et des Balkans, explique Guillaume Humery, mais aussi de mixer le klezmer avec d’autres rythmes, d’autres sons.” Il s’énerve quand, par exemple, il voit qu’à la FNAC les albums de klezmer sont rangés parmi les disques de “musiques israélienne et orientale”. “Quand je dis que je joue du klezmer, on me demande ce que je pense du conflit israélo-palestinien, mais cela n’a rien à voir !
En Europe de l’Est, berceau du klezmer, la mémoire du passé douloureux et largement occulté est beaucoup plus fraîche. On commence à s’intéresser à cette culture oubliée pendant des années, mais le danger pèse encore sur sa transmission. En Pologne – où, sur les trois millions cinq cent mille Juifs d’avant guerre, il ne restait plus que cent trente mille survivants en 1945, dont la plupart ont ensuite immigré –, l’intérêt pour la culture yiddish est bien souvent le fait de non-Juifs. “Né d’un besoin retardé de faire le deuil”, comme l’explique Piotr Pazinsky, jeune rédacteur de la revue Midrasz, qui traite de l’actualité juive en Pologne, cet engouement nouveau pourrait finir par créer une “culture juive sans Juifs, une culture juive virtuelle”. N’empêche, lorsque la star de la pop polonaise fait un tabac avec son dernier album inspiré des mélodies juives, et que des jeunes Polonais apprennent le yiddish pour pouvoir chanter, il y a là plus qu’un effet de mode. Entre exploration des traditions et fusion de sons nouveaux, la musique klezmer cherche sa voie.


Source de cet article : Madelain Anne, « A New York, Varsovie ou Paris : le klezmer revival. », La pensée de midi 3/2004 (N° 13) , p. 145-148
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Festival de la culture juive - La Pologne retrouve la mémoire 

L’Express - Envoyé spécial Marc Epstein, publié le 10/07/2003


Festival de la culture juive de Cracovie
 Antisémites, les Polonais ? Soixante ans après la Shoah et plus de dix après la chute du communisme, ils se précipitent au Festival de la culture juive de Cracovie ! Cela paraît très loin, mais c'était hier. En Pologne, il y a une dizaine d'années, peu après la chute du régime communiste, de nombreux touristes étrangers ont découvert, horrifiés, au hasard d'une visite chez un libraire, des piles d'ouvrages antisémites d'une violence extraordinaire. Beaucoup de Polonais ne comprenaient pas où était le scandale: qu'y avait-il de si choquant à vendre des livres illustrés d'une étoile de David sanguinolente ou d'un portrait de juif barbu au nez crochu ? N'est-ce pas vrai, demandaient-ils, que ces gens-là ont un grand nez ?... C'est l'époque où, selon un cliché largement répandu, la Pologne était réputée comme un pays «antisémite bien que les juifs n'y vivent pas». A Cracovie, l'ancienne capitale royale, les ruelles pavées de l'ex-quartier juif, Kazimierz, étaient laissées à l'abandon. Chaque vendredi soir, à l'heure du shabbat, seule une dizaine de vieux venaient prier discrètement dans l'unique synagogue restée ouverte.
Près de 2,5 millions de juifs vivaient en Pologne dans les années 1930. Les nazis en ont tué environ 9 sur 10 - au camp d'extermination d'Auschwitz, notamment, à quelques dizaines de kilomètres de Cracovie. Près de 9 survivants sur 10 ont quitté le pays après la guerre ou à l'issue des campagnes antisémites organisées, dans les années qui ont suivi, par le régime communiste. Aujourd'hui, le pays compte quelques milliers de juifs, sur une population totale de 40 millions d'habitants.

Carpes farcies et boulettes de viande 

Depuis dix ans, cependant, tout a changé. A Cracovie, la place centrale de Kazimierz accueille désormais une dizaine de cafés-restaurants «juifs», où les clients mangent en terrasse carpes farcies, boulettes de viande et saumon fumé. Steven Spielberg a tourné ici plusieurs scènes de son film La Liste de Schindler. Le quartier a vu apparaître deux librairies spécialisées dans les questions juives, un «centre d'accueil juif», une salle d'exposition et un musée. Dès les beaux jours, les autocars déversent des groupes de touristes ; les estivants prennent en photo les façades «à l'ancienne» fraîchement repeintes, puis réservent des places pour une des deux visites guidées : «Liste de Schindler» (deux heures) ou «Auschwitz-Birkenau» (six heures).
C'est ici qu'a lieu aussi, chaque été depuis huit ans, le Festival de la culture juive. L'édition 2003 a regroupé, du 28 juin au 6 juillet, plusieurs dizaines d'invités - chanteurs, musiciens, danseurs, écrivains, chefs cuisiniers, cinéastes, sculpteurs, profs de yiddish ou de calligraphie hébraïque... Tous les jours, les représentations théâtrales succèdent aux ateliers, aux projections de films et aux concerts, parfois retransmis à la télévision. Un grand «bœuf» en plein air a réuni tous les musiciens dans une ambiance de fête, samedi 5 juillet, devant près de 10 000 personnes. Si la plupart des artistes sont des juifs étrangers invités pour l'occasion, l'écrasante majorité des spectateurs sont des Polonais non juifs.
Le succès dépasse toutes les espérances. En pleine semaine, par exemple, à 16 heures, un cours de danse hassidique attire plus de 70 personnes. Des femmes, surtout, mais des hommes aussi, souvent blonds aux yeux bleus, qui rient, debout en cercles concentriques, les mains sur les épaules du voisin, en suivant tant bien que mal les indications d'une Américaine à l'accent de Brooklyn : «Left, right, left...» Le même jour, un groupe de Polonais non juifs donne un concert de klezmer - la musique traditionnelle des juifs d'Europe centrale - sous les lambris dorés de la synagogue Tempel, récemment restaurée. Le klezmer est à la mode. Comme il n'y a plus de juifs pour en jouer - ils sont morts ou en exil - plusieurs groupes de jeunes non-juifs ont fait leur apparition : «C'est planant, résume un étudiant. Mieux que la house music!»
Janusz Makuch est à l'origine du festival. Agé de 44 ans, il n'est pas juif et, comme de nombreux Polonais athées nés pendant l'époque communiste, il a longtemps tout ignoré des juifs et de la judéité: «Je me souviens qu'un jour, alors que j'étais au lycée, un prof m'a expliqué que dans ma ville natale, avant 1939, 1 habitant sur 2 était juif. Je l'ai regardé et je lui ai demandé: "Ça veut dire quoi, juif ?"» Intrigué, il effectue des recherches, prend conscience de l'ampleur de la Shoah, se passionne pour la langue yiddish et la culture juive. Un sourire réjoui éclaire son visage barbu: «J'avais l'impression d'avoir découvert l'Atlantide !»

«La triste réalité: il n'y a plus de juifs ici»

Le visiteur étranger est tenté d'ironiser sur le récent engouement des Polonais pour les juifs. De nombreux survivants des camps d'extermination soulignent que les détenus polonais leur semblaient parfois plus cruels que les nazis eux-mêmes. D'autres rappellent les pogroms après la fin de la guerre et les campagnes antisémites organisées par l'ex-Parti communiste dans les années 1950 et 1960. Que penser, alors, de ces jeunes Polonais rigolards qui s'initient aujourd'hui aux danses hassidiques, réservées en principe aux mariages ? Ces descendants d'une génération suspecte a priori ne dansent-ils pas, malgré leur insouciance et leurs bons sentiments, sur le corps des morts ?
A contrario, la sincérité des participants ne fait aucun doute. Chaque année, malgré son maigre budget, Janusz Makuch réunit dans son festival des musiciens juifs ukrainiens de Manhattan, des danseurs du Canada et des cantors d'Israël, sans oublier les vieux films yiddish dénichés dans les centres d'archives de Varsovie. Malgré lui, Makuch est devenu un passeur entre deux mondes : «Il y a une dizaine d'années, explique-t-il, les artistes étrangers hésitaient à venir en Pologne. Il y aura toujours des juifs qui haïront ce pays : certaines blessures ne cicatrisent jamais. Mais ceux qui sont venus sur place ont contribué à faire évoluer les mentalités. Vous ne pouvez pas imaginer la surprise de nombreux Polonais en découvrant qu'un juif peut se promener en jeans et sans barbe!» Durant près d'un demi-siècle, l'ex-Parti communiste et l'Eglise n'ont guère œuvré à l'éclaircissement des Polonais sur la «question juive»... N'est-ce pas choquant, toutefois, d'organiser des manifestations culturelles juives vidées, par la force des choses, de tout contenu religieux ? «Bien sûr que si, répond Janusz Makuch. Mais il ne s'agit plus de culture juive à proprement parler. La triste réalité, c'est qu'il n'y a plus de juifs ici. Alors, les Polonais de ma génération sont condamnés à perpétuer la mémoire de leur présence passée. Et à leur rendre une visibilité qui, à elle seule, constitue le meilleur moyen de combattre l'antisémitisme.»
Fondateur d'une revue littéraire juive, Midrasz, Konstanty Gebert n'y voit rien à redire : «Il n'existe pas de droits d'auteur sur les cultures. Les pays occidentaux s'intéressent depuis longtemps aux traditions hindoues ou à l'art japonais. Moi, je me préoccupe de l'existence dans mon pays d'une culture juive vivante. Et je veux bien la partager avec des non-juifs !»
Lentement, un dialogue s'instaure. L'enquête récente d'un historien américain d'origine polonaise, Jan Gross, sur le massacre de centaines de juifs par leurs voisins polonais non juifs dans le village de Jedwabne, pendant la Seconde Guerre mondiale, a permis de délier les langues et provoqué, chez certains Polonais, un long et douloureux processus d'introspection. «Nous n'en sommes qu'au début, prévient Anna Bikont, auteur d'un livre à paraître sur Jedwabne. De nombreux Polonais détestent toujours autant les juifs, et bien peu de juifs sont prêts à admettre l'influence de la culture polonaise sur leurs propres traditions. La plupart ignorent, par exemple, que la tenue noire des hassidim est inspirée de celle des grands propriétaires terriens polonais du XVIIIe siècle !» Chaque communauté apprend à mieux connaître l'autre. C'est nouveau. Et bouleversant.


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Le klezmer, un répertoire ancien qui renaît du côté du jazz 

par Martine Silber - Le Monde 7 avril 1999

Aux Etats-Unis dès les années 70, et maintenant en Europe, des musiciens interprètent, arrangent, composent, en s'inspirant des mélodies yiddish traditionnelles. En France, les Orient Express Moving Shnorers sont « passés du folklore à une musique de concert ». L'Orient Express Moving Shnorers, groupe formé en 1995 à l'occasion d'une fête yiddish, donne une série de concerts à Paris, à L'Européen, du 7 au 11 avril. Tous les musiciens de ce groupe ne sont pas de culture juive, mais tous ont été séduits par le klezmer, ce répertoire millénaire transmis par la tradition orale et sur des disques de cire et des rouleaux du début du siècle. Le Klezmer, né dans les ghettos d'Europe de l'Est, était joué à l'occasion des fêtes par des musiciens non professionnels, qui étaient parfois gitans, tchèques ou russes. Chez les disquaires, on trouve de plus en plus de klezmer, des clarinettistes Giora Feidman ou Don Byron au saxophoniste John Zorn et au compositeur Frank London. Pour l'écrivain Cyrille Fleischman, le klezmer peut renaître, mais « il faut arriver à s'éloigner du pathos et de la Shoah ». 

Le Klezmer vient des shtetls, ces villages où vivaient les juifs d'Europe de l'Est, pratiquement coupés du monde extérieur, puisqu'il leur était presque impossible de sortir des vingt-cinq provinces où les avait confinés Catherine II de Russie (1791). Et cela jusqu'à la première guerre mondiale. A l'intérieur des shtetlach de Galice, de Pologne, de Hongrie, de Roumanie, d'Ukraine, de Bessarabie, de Bohême..., les juifs ont forgé une culture, une langue, des coutumes et peut-être même un tempérament, sur fond de peur et d'humour, de dérision et de larmes, de rage et de résignation.
Les musiciens jouaient principalement lors des fêtes et surtout des mariages et, comme ils étaient fort mal payés, ils exerçaient une autre profession, cocher, barbier, tailleur... ou bien devenaient des musiciens ambulants et allaient d'un endroit à un autre, empruntant au passage des thèmes aux folklores régionaux.
Certains des musiciens eux-mêmes n'étaient pas juifs. On retrouve donc à l'intérieur du répertoire des mélodies gitanes, russes, tchèques, mais aussi grecques ou arabes. Si le klezmer est avant tout une musique séculière, musique de danse mais aussi de banquets, elle a également intégré des mélodies venues de la liturgie et subi aussi l'influence hassidique. Tous ces airs se transmettaient de bouche à oreille : personne ne savait lire la musique,
On aurait pu croire cette musique disparue, assassinée avec la Shoah, mais elle n'avait jamais vraiment cessé de se transmettre, en particulier aux Etats-Unis, grâce aux premiers immigrants, dès le début du XXe siècle, mais aussi en Europe où elle restait toutefois réservée à la communauté pour accompagner les fêtes familiales et religieuses.
A côté du klezmer, le théâtre et la chansons yiddish plus liés aux juifs du reste de l'Europe et en particulier aux juifs allemands ont suivi le même chemin, le même exode. En France, deux noms sont indissociables de cet héritage, ceux des chanteurs Talila et Ben Zimet. « On veut conserver les airs, les rythmes, qui sont très forts et trouver un public le plus large possible »
Depuis les années 70, le klezmer a connu une explosion spectaculaire aux Etats-Unis par l'intermédiaire des musiciens de jazz, mais rien de semblable en Europe, même si, en France, le pianiste Denis Cuniot et le clarinettiste Nano Peylet, les Polonais du groupe Kroke, les Belges de Die Muzikant, les Anglais de The Burning Bush ou les Hongrois du Budapest Klezmer Band ont commencé à aller voir de ce côté.
Le groupe des Orient Express Moving Shnorers s'est formé, lui, à la Cartoucherie de Vincennes, le 25 juin 1995, à l'occasion de la fête du yiddish organisée par l'Association pour l'étude et la diffusion de la culture yiddish (AEDCY). Au 1er janvier 1999, ils avaient donné cent cinq concerts et, après avoir joué en mars à la Chapelle des Lombards, à Paris, ils seront à l'Européen, à Paris encore, du 7 au 11 avril. C'est donc un jeune groupe, aujourd'hui constitué de huit musiciens : Pierre Wekstein, au saxo et aux flûtes, assure la direction musicale et les arrangements ; Claude Brisset à la guitare basse, Philippe Dallais à la batterie, Guillaume Humery à la clarinette, Olivier Hutman au piano, Yann Martin à la trompette et au bugle, Michael Nick au violon, et Marc Slyper au trombone. Pour la plupart, ils viennent du jazz, même si le violoniste est plus proche des musiques improvisées et si le clarinettiste vient à peine de sortir du conservatoire.
Et si, au début, ils avaient simplement l'intention de « faire un peu de musique de façon ponctuelle », ils ont peu à peu travaillé de façon plus soutenue et, après avoir écouté le clarinettiste Don Byron, le groupe Klezmatics, le saxophoniste John Zorn, le New Orleans Klezmer All Stars ou le violoniste Michael Alpert avec Brave Old World, il leur a semblé qu'il fallait se bouger, faire leurs propres arrangements à partir des disques de cire et des rouleaux du début du siècle archivés au Yiddish Institute (Yivo) de New York. « S'il y a dans le groupe des gens qui ont pratiqué cette musique dans les mariages, pour la communauté, d'autres ne sont pas de cette culture. Il est nécessaire que l'ensemble du groupe connaisse les standards avant d'aller plus loin, explique Pierre Wekstein. Donc on a d'abord joué de façon très arrangée, on nous a même parfois reproché que cela soit trop léché, mais cela ne me dérange pas. Nous allons de plus en plus vers des parts d'improvisation, mais la mélodie et les arrangements gardent une place très importante. »
Pour l'instant, ils ne se lancent pas dans la composition, préférant arranger ce qui existe, « sans plagier », poursuit-il : « Nous sommes des gamins face à un répertoire immense et il y a tout un travail à faire pour aller vers des directions plus personnelles. Cette musique redémarre et, quand une musique revit, elle revit avec le bagage culturel des gens qui la font vivre. Nous, on ne va pas forcément vers le jazz, qui est une musique ternaire, où la mélodie est un prétexte d'improvisation. On veut conserver les airs, les rythmes, qui sont très forts et trouver un public le plus large possible. On est passé d'une musique folklorique à une musique de concert. »
Contrairement à certains musiciens, les Orient Express Moving Shnorers ne chantent pas, leur accent yiddish serait trop ridicule et il serait tout aussi stupide de traduire les textes en français. Mais pour donner une respiration, pour ne pas enchaîner un morceau après l'autre, ils racontent des histoires, ils plaisantent, ils font rire. Avec l'humour des Shnorers, ces mendiants soucieux de la dignité de leur profession et de leur rôle social jusqu'à l'arrogance, car sans eux un bon juif ne pourrait pratiquer les mitzvahs, les bonnes actions. Et ce qu'ils communiquent entre le rire et la nostalgie, c'est aussi l'insolence du bonheur d'être ensemble. 

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