15 octobre 2007

DENIS CUNIOT piano yiddish

Lorsque l’on sait que le pianiste-compositeur Denis Cuniot signa la musique d’ « en remontant la rue Vilin » le film de Robert Bober ; lorsqu’on se souvient qu’il adapta pour la scène « Rendez vous au métro Saint Paul », un recueil de nouvelles de Cyrille Fleischman, nous comprenons mieux la chamade que bat notre cœur en écoutant « Confidentiel Klezmer ». Ces deux chemins qu’il emprunta composent principalement un hymne à la mélancolie. Il s’agissait d’un coté de capturer, avant démolition, les images d’un Paris que connut Georges Perec et, de l’autre, de rendre visibles les bruissements d’un quartier de tradition ashkénaze. Sur le website de Denis Cuniot, Robert Bober commente une photographie datant de 1912. Elle montre un orchestre Klezmer polonais : trois violons, une flûte, une trompette, une clarinette, une contrebasse. Tout l’art, toute la tendresse de Denis Cuniot consiste à célébrer le répertoire klezmer en solo et au piano, un instrument incongru chez les klezmorim. Voici presque 25 ans qu’avec ferveur et obstination, le compagnon de route de Pablo Cueco, rassemble toute son énergie pour passer le message des musiques juives d’Europe centrale et orientale. En duo avec Nano Peylet ou, plus tard avec Yomguih, clarinettistes exceptionnels, Denis Cuniot expose talentueusement toutes les couleurs du prisme car la musique klezmer est une pulsation où l’on peut entendre l’écho des musiques roumaines, tsiganes, russes, grecques, ottomanes, et c’est un rendez vous avec le temps des fêtes et des désolations. « Confidentiel Klezmer »* chuchote ainsi le souvenir des mélodistes qui refusaient de distinguer entre sourire et sanglot : Mark Warshawsky, Abraham Ellstein, Dave Tarras, Solomon Shmulowitz, Elyokum Zunser. Si bien qu’en écoutant ce magnifique hommage, je suis redevenu contemporain de mon enfance. Elle se déroula trop vite dans Belleville que décrivent les livres d’Henri Raczymow, un Belleville défiguré à la fin des années 60 par les boules de fonte, et dans cette rue du Pressoir, un repaire de voyous selon le regretté Clément Lipidis, aux immeubles superbement écaillés dont les fenêtres souvent ouvertes (comme les portes) libéraient cette musique aux mille accents que Denis Cuniot honore et qui me fait un cœur éternellement yiddish. (Article de Guy Darol - Jazz magazine mai 2007)
*CD sorti en décembre 2006

Pour Denis Cuniot, devenu jazzman et prof de musique, le déclic klezmer a lieu à l'aube des années 80, quand il entend pour la première fois la clarinette funambule de Giora Fiedman. « Tout d'un coup, je comprends que c'est mon véritable langage, celui de ma mère, celui de mes racines culturelles. » Musique de mariage née dans les ghettos juifs d'Europe de l'Est, le klezmer se jouait d'abord au violon. « Les romanciers de langue yiddish de la fin du XIXe siècle décrivent bien les klezmorim, ces instrumentistes itinérants qui vont de noce en noce en échange du gîte et du couvert. Il y a quelque chose dans leur musique de l'ordre du nomadisme, de l'exil, des pogroms. » Dans le sillage des fanfares militaires, la clarinette y arrivera en conquérante, bientôt rejointe par l'accordéon et le cymbalum. « Sur les disques des années 20, on entend parfois le rabbin interrompre l'orchestre pour faire pleurer tout le monde, y compris la mariée, en rappelant les aïeux disparus, et hop, la musique reprend et aussitôt, tout le monde danse. »
De sanglots étouffés en éclats de bonheur, sur de lumineuses mélodies empruntées aux comptines et aux berceuses, son album Confidential Klezmer (coup de coeur 2007 de l'Académie Charles-Cros) conjugue l'ornementation orientalisante des traditions balkaniques, et l'ivre tournoiement des mystiques hassidim. Le tout avec une rare intensité introspective teintée de jazz, de classique et de contemporain.
Au sein de diverses formations, du duo au big band, Cuniot fut un des plus ardents artisans du renouveau klezmer. « En France, le nombre de formations amateur a explosé au début des années 2000. Chaque fanfare a désormais un ou deux airs klezmer à son répertoire, et le genre commence à s'affranchir du communautarisme. Du coup, je me sens libéré du devoir de transmission. Je me définis avant tout comme un musicien de chambre : j'ai envie de faire entendre le klezmer loin des fanfares et du folklore. Car c'est une musique que l'on peut apprécier aussi en dehors de la fête. » (Eliane Azoulay - Télérama novembre 2007)
ENGLISH
At a young age, Denis Cuniot attended concerts by Albert Ayler, Archie Shepp and Cecil Taylor and was deeply impressed by the Black Power movement in the United States. The revelation that took place in the 1980s, where he was marked by the klezmer style, a music for weddings that was born in Jewish ghettos in Eastern Europe.
Truly a spearhead for the rediscovery of klezmer in France, and wanting to take out the fanfare and simple folklore to make a sort of chamber music, he co-founded in 1983 the duo Peylet-Cunio with Nano Peylet, a clarinet player with the group Bratsch. They recorded three albums, and in 1993 Cuniot also participated in the recording of the Nanon Peylet and Friends, which brought together several duos.
In 1995, he created the Orient Express Moving Schnorers, with whom he put out Les lendemains de la veille in the Transes Européennes collection directed by Pablo Cueco.
He left that group in 1998 to work on a solo piece in which he was the narrator and the pianist: Les rendez vous au métro Saint Paul, based on the short stories of Cyrille Fleischman. The production was performed nearly a hundred times at theaters in Ile Saint-Louis, Vieille Grille, Forum des images, and in the provinces.
In 2000, his determinant meeting with the young clarinet virtuoso Yomguih led him to produce The Golem on the Moon (radical klezmer) on Buda Musique. Between gentle ballads and gypsy sounds, the Yomguih-Cuniot duo played numerous festivals—at New Morning, the Maison de la Musique in Nanterre, at Issy-les-Moulineaux, Théâtre du Tambour Royal in Paris, at 7 Lézards…
In the fields of jazz and improvised music, he worked with different orchestras, including those of Pablo Cueco and the Michael Nick Trio.
Luminous melodies borrowed from nursery rhymes and lullabies, Denis Cuniot's album Confidential Klezmer, a 2007 favorite of the Académie Charles-Cros, brings together Oriental ornamentalism with Balkan traditions and hints of jazz, classical, and contemporary music.
Far from having exhausted his talents, Denis Cuniot also composes music for movies, most notable for filmmaker Robert Bober, including: Naissance de l'écriture (The Birth of Writing), L'esprit des lois (The Spirit of Laws), En remontant la rue Vilin (Going Back up la rue Vilin, a "cult favorite" in honor of Georges Perec). Robert Bober also used music by the Peylet-Cuniot duo in his films dedicated to Chagall and Kafka.
A prolific artist, Denis Cuniot also produced the music for Anne Quesemand's film Belleville Drancy par Grenelle (Belleville Nancy by Grenelle). He composed and performed live the music for the Tom Browning silent film No Woman Knows and improvises for Georges Mélies's movies, remaining faithful and particularly sensitive to the almost familial link between the narration and the music. (From Alliance Française USA)
Klezmer patrie Source : http://next.liberation.fr/musique/2012/11/16/klezmer-patrie_861038
16 novembre 2012
Par François-Xavier Gomez

La rencontre de Denis Cuniot avec l’univers klezmer remonte à trente ans, lorsque Nano Peylet, clarinettiste du groupe Bratsch, l’initie à cette culture, à l’époque confidentielle. Et qui le devient un peu moins avec la parution du premier disque du duo Cuniot-Peylet, piano et clarinette, en 1989. Deux autres volumes suivront. Aujourd’hui, le terme klezmer est employé couramment, même si on l’utilise, à tort, comme synonyme de musique yiddish.Mystique. Denis Cuniot est né à Paris en 1953, d’un père communiste français et d’une mère juive de Pologne. «Les klezmorim, pluriel de klezmer, sont des musiciens itinérants qui apparaissent en Europe centrale au XVIIIe siècle, explique le pianiste. Ils jouent du violon ou de la clarinette, ne chantent pas, et leur musique anime les fêtes, les mariages en particulier.»
Leur apparition est intimement liée au hassidisme, courant mystique qui se développe dans les communautés juives de Lituanie, puis de Pologne et d’Ukraine. Par réaction à une religion rigoriste qui se concentre sur l’étude de la Torah, les hassidim vivent leur relation à Dieu dans la joie, à travers la musique et la danse. «Il n’y aurait pas de klezmer sans le hassidisme, poursuit Denis Cuniot. Les klezmorim ont transcrit avec leurs instruments le chant synagogal, les cantilations des textes sacrés. Ce qui explique le caractère modal de leur musique, leur caractère oriental.»
Pourtant, le klezmer est en marge de la société juive. Pauvre et impie, il n’est utile que lors des fêtes. Le reste du temps, il est rejeté. «Les écrits du XIXe siècle, ajoute Denis Cuniot, distinguent entre le klezmer, vagabond, mauvais instrumentiste, voire voleur, et le musikant, musicien au sens noble, cultivé.»
Le mythe du klezmer virtuose se forge au XXe siècle aux Etats-Unis, où émigre une forte communauté juive d’Europe centrale. Les clarinettistes Natftule Bradwein et Dave Tarras, nés en Ukraine, imposent leur style virtuose, enregistrant des dizaines de 78 tours. Ont-ils influencé le jazz, comme on le dit souvent ? Denis Cuniot n’en est pas convaincu : «On cite en exemple Benny Goodman, mais on n’entend dans sa musique que de brèves citations klezmer.»
La fréquentation des musiciens tsiganes, en Roumanie, introduit dans l’univers klezmer l’accordéon et le cymbalum. Ainsi que les danses roumaines : hora, doïna, sirba. Mais jamais de piano, instrument de riches - et impossible à transporter avec soi. Denis Cuniot fait donc figure de pionnier. «La difficulté, explique-t-il, est de faire durer la note. Le piano n’a ni le souffle de la clarinette ni le vibrato de l’archet sur le violon. J’ai contourné le problème en jouant les notes répétées, et en utilisant la pédale. La main gauche joue le rôle de la contrebasse, en temps-contretemps. tandis que la main droite dialogue avec la clarinette, à l’unisson, ou en ajoutant des ornements.»
Redécouverte. Après la rencontre avec Peylet, Cuniot fait partie, dans les années 90, des Orient Express Moving Shnorers, où s’illustre un très jeune clarinettiste : Guillaume Humery. Le pianiste va accompagner l’ascension de ce brillant soliste klezmer-jazz, connu aujourd’hui sous le diminutif de Yom. Dont le succès atteste la vigueur du renouveau yiddish, des deux côtés de l’Atlantique.
Fidèle à une esthétique dépouillée, Denis Cuniot publie ces jours-ci Perpétuel Klezmer, deuxième volume de piano solo après le très remarqué Confidentiel Klezmer, en 2006, dont Yom assurait la direction artistique. Au fil de bouleversantes mélodies, il orchestre la rencontre entre le jazzman sud-africain Dollar Brand et le clarinettiste argentin Giora Feidman, dont le disque Jewish Soul Music fut, en 1972, à l’origine de la redécouverte du klezmer. Il rend aussi hommage à deux accordéonistes : le Français Eddy Schaff, disparu en 2004, et le New Yorkais Mishka Tsiganov.
Denis Cuniot voit déjà plus loin. Lui qui se fit connaître au sein de Lô, radicale expérience de free-jazz tricolore, avoue : «J’ai gardé un appétit pour la dissonance. Mais je veux aussi me rapprocher du piano judéo-arabe, de cet "oud imaginaire" dont Maurice el-Medioni est le grand maître.»

http://www.deniscuniot.fr/

https://www.youtube.com/watch?v=_BL9KCWnACY
https://www.youtube.com/watch?v=hj_jnt3UjLo
https://www.youtube.com/watch?v=yEPZKZd8j6g

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